Cette journée n'avait pas trop mal commencé, et je l'abordais comme je le faisais chaque matin; avec bonne humeur et excitation. En m'éveillant, chaque jour, je me demandais avec un enthousiasme non dissimulé: "Que va-t-il se passer aujourd'hui? Que vais-je faire? Qui vais-je rencontrer?" Tel était mon état d'esprit à l'aube de ce qui était pour moi une nouvelle aventure. Je m'extirpait de mon "lit" pour commencer à lisser les plumes de mes ailes. Quelques débris s'étaient coincés dedans la veille, alors que j'étais parti chasser avec un groupe de jeunes guerriers. Je cherchai ma soeur, Naïri, des yeux et celle-ci était encore paisiblement endormie. J'esquissai un léger sourire en coin, amusé. Elle avait bien du travail, en tant que garde royale, elle pouvait bien se poser un peu de temps à autres... Elle qui était d'habitude si matinale, elle devait parfois fatiguer.
Soudain, alors que je regardais ma soeur dormir profondément, je me souvins de ce qu'elle m'avait dit la veille. Un autre garde royal, Nyekundu, prenait une journée de congé le lendemain - donc aujourd'hui - et elle devait le remplacer en fin de matinée. Hors, le soleil s'élevait déjà haut dans le ciel; il n'allait pas tarder à être midi. Légèrement paniqué, je m'approchai de son "lit" en vitesse, planant un peu à l'aide de mes ailes. Je la secouai durement; je ne voulais pas qu'elle soit en retard sachant à quel point c'était important pour elle. Elle fit mine de ne pas m'entendre, poussant des plaintes endormies. Je finis par lui lancer:
" Naïri, tu vas être en retard pour la relève! "
Aussitôt, elle ouvrit les deux yeux et partit telle une flèche sans un mot. Hé bien. Quelle réaction! Je la regardai s'envoler pour rejoindre le palais de nos monarques lorsque je me souvins d'autre chose; je devais lui rappeler quelque chose à tout prix. Sans finir ma brève toilette, je partis alors en hâte à sa suite, volant le plus vite possible. Heureusement, Naïri avait le même gabarit que moi - c'est à dire, très petit -, elle ne me distançait donc pas. Cependant, je n'arrivais pas à la rattraper; nous allions à la même vitesse. Elle allait arriver au palais lorsque je tournai mon regard de nouveau devant moi, faisant du sur-place dans les airs. Dépité de ne pas avoir réussi à parler à ma soeur, je ne vis pas venir vers moi le grand dragon qui faisait presque le double de ma taille. Il me percuta violemment et je fus projeté quelques mètres plus loin. Heureusement, je ne m'écrasai pas sur le sol comme une vulgaire crêpe grâce à mes réflexes. Mes ailes se déplièrent de nouveau pour me permettre de planer assez pour ne pas percuter violemment le sol et me poser en douceur dans les ruelles de notre ville. J'étouffai un juron, profondément mécontent. Non seulement je n'avais pas pu rattraper ma soeur, mais, en plus, je me faisais bousculer par un dragon qui était largement plus grand que moi. Je grommelai quelque chose d'incompréhensible, maintenant de très mauvaise humeur. Je me retournai enfin vers le fautif pour découvrir qui subirait mes insultes.
Le dragon qui se trouvait étalée sur le sol devant moi n'était autre que Nyekundu, le garde royal que devait remplacer Naïri. Je le vis jeter un autre regard en arrière, vers ma soeur. Alors là, c'était le pompon. Il ouvrit la bouche - sûrement pour inventer une piètre excuse - mais je ne lui en laissai pas le temps, hors de moi:
" Tu ne pourrais pas regarder devant toi au lieu de jeter des regards à ma soeur, espèce d'abruti?! "
Je fulminais intérieurement. Non seulement il m'avait empêché d'atteindre Naïri à temps - objectif qui me tenait à coeur - mais en plus, c'était parce qu'il lui jetait des regards. Et ça ne me plaisait pas vraiment. J'attendais une quelconque excuse de sa part, lui jetant des regards noirs. Pour couronner le tout, j'étais très fier et ne supportait pas d'être humilié en public de la sorte. Il m'avait littéralement envoyé valser.